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Enfant du Quinto Sol
31 janvier 2013

K-sens

 

C’est toujours l’heure de les nourrir, et elle se dévoue toujours. Elle chausse ses nouvelles bottes psychédéliques,  reprends ses vêtements défoncés et mouillés qui ont presque séchés. Elle claque la porte pour affronter le vent et la pluie déchaînée. Elle marche dans des marres d’eau et de boue comme dans des sables mouvants, comme une équilibriste avec sa montagne de gamelles plus grande qu’elle, dans les bras. Et face à elle, ce spectacle dont elle ne se lasse jamais, et à chaque fois elle se dit qu’il faut voir ça au moins une fois dans sa vie,  si on dit aimer la force de la nature.  Ils effectuent comme un balai de danse devant ses yeux, elle les voit de loin. Ils tournent, sautent, courent, se jettent au mur en prenant appui dessus avec leurs pattes arrières pour sauter plus loin de nouveau. Et ils font ça en boucle. Ça lui est même déjà arrivé de s’arrêter net, et de rester là à contempler. Y a toujours cette créature qui ne semble ni être un chien ni être un loup, roux clair presque blanc, aux yeux vert et perçants, pour enclencher l’appel. Et de partout surgissent les hurlements. Elle y va toujours à la tombée de la nuit, même si c’est plus difficile, car c’est plus impressionnant. Parfois elle ne voit plus que des centaines de paires d’yeux verts qui la fixent et elle se laisse guider par les pleurs et les chants mêlés en harmonie. Elle avance, elle reste debout face à eux de l’autre côté de la clôture, ils s’élancent tous à tour de rôle ou en même temps  pour sauter le plus haut possible. Pour retomber sur le sol ou parfois sur la grille qui grince et manque de lâcher sous le poids, et l’impact. Elle se prend de la boue plein la gueule, à chaque fois, elle sourit, elle monte sur la chaise dont les 4 pieds s’enfoncent, en prenant garde de ne pas glisser. Elle est là, les bras tendus levés bien haut, la gamelle au-dessus de la tête, face à la meute déchainée qui danse sur ses deux pattes arrière. Elle les contemple de haut  un bon moment, et déverse la nourriture.  Et puis, y a ceux où il faut rentrer dans l’arène, ou elle se bat avec la porte pour pouvoir passer quand la meute cherche à sortir, et qu’elle lutte de toutes ces forces contre cinq créatures hystériques qui veulent manger. Elle ne peut pas faire comme lui qui tient toutes les gamelles en hauteur au-dessus de sa tête, puisqu’elle est trop petite, et que les créatures sont bien trop hautes sur leurs deux pattes arrières. Alors elle tient fort ses gamelles au creux de ses bras comme si c’était le trésor le plus important à ses yeux, elle leur tourne le dos en grondant frénétiquement, cinquante fois s’il le faut, et subit les pincements d’impatience au mollet d’une des créatures trop farouche pour y aller franchement, ce sont les pires celles-là. A chaque jour une nouvelle aventure, ou les réussites viennent compenser les échecs de la vieille. Comme lorsqu’elle peut entrer dans la cage de celle qui attaque tout le monde. Et qu’elle se retrouve à l’intérieur, à 3 mètre de la porte fermée de l’extérieur, sans savoir si c’est du courage ou de l’inconscience, mais qu’elle décide de faire confiance même quand les crocs sont découvertes  à portée de cuisses, qu’elle prie sans vouloir trop penser, l’ivresse aidant, en mesurant avec lenteur tous ses faits et gestes.

Et puis avec d’autres, il y a toujours l’humiliation de s’être fait mordre parce qu’on s’est senti trop fort, et que la réalité s’est chargé de nous rappeler qu’on est rien, et qu’on ne fait que composer avec ce qu’on est, et avec l’autre, peu importe qui ou ce qu’il est.

 

Une douche brulante, pour évacuer de la peau toutes cette merde ces péripéties.

Je regarde dans le miroir de brume cette silhouette ou les muscles sec se dessinent, prêts à braver n’importe quelle aventure. Je me suis rendue puissante en 5 jours seulement. Au paradis des loups, des oiseaux rares, et des plantes exotiques, là où on se prend des coups, des crocs, de la boue, du froid, des cris, et des hurlements. Là où la tête voudrait se poser quand le corps enchaine.  Comme un robot enclenché qui ne peut plus s’arrêter après s’être échauffé. Alors y a elle, qui te sers une Caipirinha en t’assurant que c’est plus efficace que le vin pour mieux dormir.  Et elle te répète la même phrase, ton verre plein à la main, à mesure que les heures avancent dans la nuit. On en chie tellement qu’on en vient vite aux confidences, quand la tête lâche parce que l’alcool nous réconforte agréablement, et qu’il nous aide à ne plus sentir le froid. On s’inquiète à leur place pour l’avenir qui leur fait peur, et qui ne leur fera pas de cadeau. On sait qu’on sera inévitablement  liés à cette merde, si on choisit de franchir le pont de l’amitié.

Autour d’une table, que des naufragés de la vie, des marginaux qui se sont construit leur existence à la sueur de leur front, rempart après rempart, pour se protéger du monde et s’élever au plus haut pour mieux l’apercevoir et le comprendre. Pour le mérite. Qui ont su rassembler leur clan, en manque d’appartenance. Et qui se joignent volontiers à la meute pour mêler les cris de leurs cœurs aux pleurs des chiens. Qui enclenchent le miracle de la vie pour parfois le voir pourrir. Là où se mêlent ambitions, sauvagerie, amour, fraternité, alliance, violence, espoir, dureté et beauté de la vie. La vie. En long, en large, et même en travers.

Y a lui qui me fend le cœur, résigné pour s’accrocher à l’amour, le seul qu’il ait connu, qui subit sa vie, autant qu’il l’aime, et qui se tuera à la tâche pour la conserver intacte. Qui s’accroche et se dévoue pour si peu de reconnaissance. Et nous témoins, supportons à sa place.

On a des ongles cassés, des lèvres gercées, des pieds défoncés, des mains coupés, des habits déchirés, la fatigue aux yeux mais le sourire aussi.

C’est de cette vie que je veux, celle où chaque journée est un retournement de situation. Ou le sommeil nous assomme une fois que la résolution du problème se finalise.  Ou le sang-froid est de mise, ou l’on est plus vraiment nous-même, ou bien au plus proche de nous, parce qu’on est au cœur de l’action, et qu’on a plus le temps de penser, mais qu’il faut agir bien.

Et on écoute One day, et comme la musique nous fait du bien au cerveau… On sourit sur cette voix joliment déchirée et cette mélodie si légère, presque aérienne. Comme ces boucles minimales qui nous reposent et nous élèvent. 

No more tears, my heart is dry
I don't laugh and I don't cry
I don't think about you all the time
But when I do - I wonder why

One day baby, we'll be old
Oh baby, we'll be old
And think of all the stories that we could have told

 

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Commentaires
T
Whaou. Je sais comme tu en as bavé, je sais comme c'est dur physiquement, moralement. Mais whaou. Quelle beautée... !<br /> <br /> <br /> <br /> *tellement fière de toi*
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